Jean Veloz, icône du swing de Hollywood, nous a quitté.e.s récemment (le 15 janvier 2023) à l’âge de 98 ans. L’occasion pour Swing History de parler de cette ambassadrice du Lindy Hop qui a contribué à faire connaître cette danse à Los Angeles dans les années 40 puis à travers le monde lorsque le swing conquiert la planète.
Découvrez Jean dans une vidéo courte où sa passion transparaît si bien:
Jitterbug(1)
Peu avant la deuxième guerre mondiale, le Lindy Hop se répand dans les Etats-Unis et touxtes les ados veulent danser sur les tubes de la radio. Jean et ses frères ne font pas exception et invitent des amis chez elleux pour s'entraîner après l’école. Avec son petit frère Ray, Jean s'inscrit à son premier concours à Santa Maria (CA) et gagne en compétition avec 500 autres danseureuses!
Decollage
Le déménagement de la famille à Los
Angeles va donner de l’élan à la carrière de Jean. Lors d’un concours, elle gagne une carte de membre au “Screen Actor’s Guild membership” (sorte de syndicat mondial des acteurs-rices dont l’adhésion vaut 3000$) et une apparition dans un film qui deviendra culte: Swing Fever (1943).
La chanson raconte une femme qui ne peut choisir entre deux hommes, un militaire et un civil. Mais l’histoire se complique et le choix est de plus en plus difficile, les hommes “s’arrachent” alors Jean dans une chorégraphie de “stealing” mythique de l’histoire du Lindy Hop.
S'enchaîne des apparitions dans la plupart des films dansants de l’époque où elle performe avec les danseureuses les plus connu·e·s du moment, comme Dean Collins ou Chuck Saggau.
Danser "Savoy" ou "Hollywood"
Jean était une danseuse de Lindy Hop “Hollywood style”. Ce style ouest américain est à mettre en contraste du “Savoy Style” de la côte est, qui est à l’origine du Lindy Hop et qui se caractérise par une danse axée sur le “social” avec des mouvements circulaires, beaucoup de bounce (rebond), une position “horizontale” et une liberté de mouvement et de création pour les deux partenaires.
Le Hollywood style s’éloigne de ces racines africaines-américaines et va inclure des aspects plus “blancs” avec des déplacements plus linéaires, des corps plus droits, des contrepoids plus forts, des figures plus “codifiées” et précises. C’est ce style qui donnera naissance à une autre danse connue: le “west coast swing”, qui n’a de swing que le nom…
Touche à tout
Jean ne s'arrête pas au Lindy Hop et va performer et enseigner le tango, la valse, la rhumba, la samba, le foxtrot en live à la TV avec celui qui deviendra son mari, Franck Veloz. Leur show qui invite des stars à danser, durera 5 ans.
Après la mort de Franck en 1981, Jean prend sa retraite. Mais supportée par la communauté swing, elle reprend le chemin des parquets en '92 et ne tarde pas à faire le tour des festivals du monde entier pour enseigner la danse et apporter un témoignage vivant des “années swing”. En 1996, Jean obtient une place au prestigieux “California Swing Dance Hall of Fame”.
Jeune pour toujours
En pleine forme, Jean ne prendra au final jamais de vraie retraite et continuera de danser et de voyager jusqu’à la fin de sa vie.
Après avoir dû choisir entre deux hommes dans Swing Fever, il faut au moins trois danseurs (et pas des moindre: Chong Chan Meng, Remy Kouakou Kouame et Skye Humphries) pour tenir la distance lors de l’anniversaire de ses 90 ans, en 2014.
Lors d’une interview du célèbre Steve Harvey dans l’émission “Forever Young” en 2017, elle déclare:
“Les Big Bands! Si ça ne met pas le feu… si tu ne réagis pas à ça, si tu ne sens pas ça… tu es mort!”.
Cette année-là, à 93 ans et 73 ans après être apparue dans Swing Fever, elle retrouve ses partenaires et reconstitue la scène mythique qui l’a rendue célèbre.
Une grande fête a été organisée pour ses 95 ans. Vous découvrirez dans cette vidéo, d’autres clips de ses apparitions dans les films, accompagnés de ses anecdotes et histoires “behind the scene”
Doutes et considerations
Faire des recherches sur internet sur Jean Veloz et sa formidable carrière de danseuse c’est un peu perturbant au premier abord, et un peu difficile: les images et les informations que l’on trouve sur elle ne donnent pas tout de suite l’information que le Lindy Hop est une danse africaine-américaine et laissent donc croire que c’est une danse créée par des personnes blanches.
Dans les films hollywoodiens de la première moitié du siècle dernier, les personnes Noires et les personnes blanches n’apparaissaient pas ensemble à l’écran. (Un documentaire Netflix a récemment été dédié à ce sujet: “C’est assez noir pour vous?!?”)
Certaines scènes, notamment des scènes de danse, faisant apparaître des personnes Noires étaient conçues pour pouvoir être coupées au montage en vue de la diffusion des films dans les États ségrégationnistes du sud des Etats-Unis.
Un film bien connu de l’histoire du swing et dans lequel Jean apparait, illustre bien cette problématique: le “film” Groovie Movie (1944), une sorte de vidéo d’instruction de danse, ancêtre des tutoriels youtube. Il y est expliqué que le swing vient d’autres danses blanches comme le ballet ou la valse… sans aucune mention de sa réelle origine africaine-américaine.
Rien d’autre que de l’appropriation culturelle doublée d’une réécriture de l’histoire:
Au delà des parcours individuels c’est assez pénible de sentir les effets de la ségrégation raciale et à quel point elle a été véhiculée par l’industrie du film et donc par Jean elle même puisqu’elle est souvent présente dans les scènes de danses de ces films.
Ces articles, c’est toujours un apprentissage, des grandes questions parfois délicates. Jean Veloz fait partie de l’histoire du Lindy Hop et a grandement contribué à sa popularité. Il était important de parler d’elle et sa disparition était une bonne occasion de le faire malgré les zones d’ombres. N'hésite pas à nous faire part de ton avis précieux sur ces questions.
Redaction
Hülya Kubbecioglu
Sources & notes
(1) Jitterbug: nom désignant un·e danseureuse de swing ou bien différentes variations de danses swing comme le Lindy Hop, le Jive ou le West Coast Swing. Avant d’être utilisé communément pour parler de tous les danseureuses, le terme, a d’abord été employé par les journalistes avec une connotation péjorative et clairement raciste pour désigner des alcooliques souffrant d'hystérie (rapport à des mouvement de corps “excentriques”) puis des danseureuses, souvent Noir·e·s, jugé·e·s sans connaissances et sans contrôle.
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